16 déc. 2007

Chapitre XXXIV


Une jeune femme oxygénée, décrépue à la pomme de terre, sort de sa guérite. Elle regarde les mains d’Alexis posées sur le volant.
— Je sais, dit-elle. L’ongle de votre petit doigt est plus grand que celui de mon pouce... J’ai une bonne nouvelle, je suis enceinte. Des jumeaux.
« A propos, la semaine prochaine j’aurai une autre série de photos. Plein cadre et grand format cette fois.

FIN


ISBN :978-2-9528650-2-9
EAN : 9782952865029





Chapitre XXXIII

L'aube, en ce début de printemps. Aube de brume légère. D'eau plate, de branches basses.
Alexis, les yeux fermés, se laisse guider par Aurore.
— A quoi pensez-vous ?
— Au génie du lieu, évidemment. A Guillaume Tell et à son arbalète. Au Promeneur solitaire. Je respire les parfums qui ont dû les troubler.
— Moi, dit Aurore, je pense que nous n’avons dit au revoir à personne. J’appellerai Gréta.
— Eh ! sans rire, ne trouvez-vous pas que cela sent encore le hot dog ?
Lorsqu’ils se retournent, le toit de la maison semble par moments disparaître sous des tourbillons de fumée.
Aurore et Alexis hésitent. Reviennent sur leurs pas. Le long du lac. Vers l’embarcadère.
Un policier les arrête. Montre, entre deux cèdres, une limite à ne pas franchir. Leur demande de passer leur chemin. Parce qu’il n’y a rien à voir. Parce que ces incendies sont monnaie courante. Parce que les ambulances, la police et les pompiers travaillent. Que les Renseignements généraux relisent leurs fiches.


A l’hôtel, Aurore et Alexis restent à l’écoute des nouvelles.
Une partie de la charpente du squat a brûlé. Les murs et les grandes structures n’ont pas trop souffert.
Les médecins assurent que les drogués durs et les blessés ont été répartis dans les hôpitaux. Les moins touchés dans d’autres centres. Les sans-papiers ont disparu.
Des sociologues expliquent que les seringues perdues se retrouvent toujours. Comme les étoiles et les fourchettes des restaurants dans les guides touristiques. La boutique restera ouverte pendant les travaux.
— Je parie, dit Aurore, que Gréta tient tout cela à bout de bras. La banque, les coffres et le bunker ne risquent rien. Elle n’aura qu’un peu de souci avec les combles d’Abdah.


En fin d’après-midi, les visites étant toujours interdites, Aurore et Alexis décident de rentrer chez eux.
Au garage, elle lui serre le bras.
— Au moment de l’explosion des Goncourt et de la fille en latex, j’ai cru voir arriver notre dernière heure. Cette idée de mourir dans vos bras ne me déplaisait pas. Je trouvais seulement que c’était un peu tôt.
« Quelle dinguerie trotte donc dans la tête de cette femme pour fabriquer de telles extravagances ? Mais rassurez-vous ! votre paternité ne s’ancre pas chez ces gens que nous venons de rencontrer. Comme votre ancienne maîtresse, vous vous serez embrouillé dans les sentiments. Trompé dans les dates. A l’époque, vous ne saviez ni aimer ni compter.
« Je plains les autres amants de cette mère machin. Surtout les petits. Elle ne va pas tarder à les solliciter. Ses fils finiront par trouver un papa qui leur ressemble. Mais vous n’avez pas volé la leçon.


Le téléphone clignote, Aurore met un doigt sur le voyant.
— On ne répond pas, la route est si belle. A cette allure nous serons bientôt de retour. Laissez votre main sur mon genou. Vous roulez aussi vite qu’autrefois. Et je n’ai pas peur. J’aime votre façon de conduire à tombeaux ouverts. Tiens ! encore une expression qui disparaît avec les limitations de vitesse. Voilà comment on tue une langue.
« Et puis qu’importe, à la fin, que l’on ait cherché à vous détrousser à la corne du bois des lettres. Au-delà de cette aventure, vos trois phrases et vos quatre idées égarées vous appartiendront toujours. Dieu soit loué. Elles portent votre marque.
« Je l’ai compris avant d’arriver à la douane. A l’hôtel, en vous écoutant raconter le Parc Monceau. Et, le lendemain, lorsque je lisais dans la baignoire ce qu’un imprudent avait voulu en faire. En tout cas, votre histoire de paternité biscornue ne vous tracassera plus. Vous avez de nouveau la tête sur les épaules.
« Nous aurons aussi constaté que cette minuscule terre bosselée n’était pas plus que d’autres préservée des aléas de l’évolution. Mais qu’elle prenne garde ! L’Europe se lèche déjà les babines.
« Oh ! regardez. Le génie du lieu plane au-dessus de la voiture. Il nous caresse de ses ailes de soie dans la lumière cendrée de la lune. Il salue notre départ. Tout grand, tout seul maintenant face aux européens. Vingt-sept pays, pour le moment… Il va avoir du travail.
« Adieu, Grisons ! Adieu, coucous ! L’équinoxe est passé. L’année bascule. Voici la douane. Nous irons une autre fois voir le réchauffement de la planète.

Chapitre XXXII

Nouveau silence. Abdah pouffe dans sa moustache. Gréta se penche vers Alexis.
— Les trois meubles autour de vous sont ce qu’il reste de son ancienne splendeur. N’y voyez ni décor, ni mise en scène, l’asile a tout emporté. Cette histoire a marqué les garçons. Son troisième mari assure le quotidien. Et elle rêve toujours de littérature.
« Lorsqu’elle vous a reconnu, elle recevait quelques-uns de ses anciens amants dans la maison qu’elle loue de temps à autre en France, pas très loin de chez vous. Vous tombiez à pic. Elle vous a invité. Au dîner, vous n’avez pas marché… vous avez couru. Elle s’est amusée à vous coller le chapeau.
— Elle oublie seulement, dit Alexis, que je n’ai pas été le seul à lui parler littérature. Ni à fabriquer son adolescence. Aurore l’a compris tout de suite.
— Oui mais, dit Gréta, vous seul de tous les invités avez réagi. En venant jusqu’ici fourrer votre nez.


Abdah regarde de nouveau sa montre. Il ne rit plus. Il se lève. Arme son revolver et passe derrière le canapé.
Déclics, soupirs et coups de feu. Les poupées en latex éclatent. Des flammèches jaillissent. De l’autre côté des judas, l’asile s'ébroue comme se réveille une étable. Les murs gémissent.
Gréta touche le genou d’Aurore.
— Au début, le matin, pour faire déguerpir ces macaques, nous avions le carillon de l’église. Nous l’avons remplacé par de la musique militaire. Maintenant c’est le revolver. La poudre et le feu les effraient encore. Nous évoluons.
« Il faut relativiser la dérive du pays. Brusquer n’a jamais été une solution. Nous devons tolérer, admettre, dialoguer. Et après tout, les civilisations sont faites pour être remplacées. Deux mille ans de judéo-christianisme mâtinés de gréco-latin, ce n’est déjà pas si mal. On peut commencer à regarder ailleurs. De toutes façons, l’irénisme a encore de beaux jours devant lui. Hélas !
— En attendant, dit Aurore, le génie du lieu veille plus que jamais. J'en suis certaine. Il en a vu d’autres. Je lui fais confiance.


Abdah vide son barillet et ses chargeurs aux quatre coins du salon. Le branle-bas enfle et entre en démesure.
A travers les cloisons, les cris, les jurons, les cavalcades commencent à se répondre sur une même extravagance.
Au loin, les sirènes d’ambulance et celles des voitures de police ajoutent leurs accents d’incertitude et de tristesse.
Aurore et Alexis profitent du désordre. Ils bondissent hors du salon. S’esquivent à travers l’affolement, le vacarme.
Et, tant bien que mal, s’arrachent aux bras, aux doigts, aux ongles de ces gens qui se font ronciers pour mieux les garder, les blesser, les réduire.
Ils s’échappent enfin. Courent sur le marbre fendillé, main dans la main. Coupent à travers le parc, sous les cèdres.

Chapitre XXXI

Aurore esquisse de la main une forme de cafetière à long bec… lorsque, sous une rafale plus forte, le vieux Beauvais frémit. Se décroche. La frôle et s'abat au ras du canapé.
Un mouchoir sur la bouche pour ne pas étouffer, elle regarde Gréta qui éternue.

— L’heure a donc sonné. Vous l’aviez laissé entendre.
Aurore parle dans la poussière, sous les étincelles. A la lueur des bûches ranimées par le courant d’air.
Elle se souvient que, dans la voiture, au téléphone, elle s’était extasiée sur le Rhône à remonter. L’esprit des glaciers. Les lacs de Guillaume Tell. Le génie du lieu.
— J’aurais dû évoquer les sources de la Seine. Ou le Liré. Nous n’aurions pas été piégés. Depuis le dîner d’avant-hier, ces gens ne nous lâchent plus. Ils auront eu le temps d'organiser notre disparition. Cet asile obéit à une logique qui n’a rien à voir avec la nôtre. Gréta est dans la confidence. Je pense au chien et au chat. Que vont-ils devenir ?


Dans le prolongement du salon, la poussière retombée laisse apparaître une sorte de boudoir à la Viollet Le Duc. Avec causeuse bancale, coussins, poufs déchirés. Les tentures assombrissent encore l’amoncellement de caisses, de cartons et de matelas sur lesquels trône un personnage en culottes courtes. Un autre, identique, s’accroche à son cou.
— La cafetière ! dit Aurore. Je le reconnais. Tout à l’heure, il se déguisait en Molière. Il laissait entendre que vous pourriez être son père. Vous qui vouliez le voir ! Plus de doute sur votre paternité. Je crois même entendre piailler sa mère, votre ancienne maîtresse. Ecoutez !
Une voix de femme, en effet, s’élève dans la pénombre. Mal assurée et assez faible sous les draperies.
— C’est sa voix, dit Aurore. Je ne me trompe pas. Le musée Grévin parle. Alexis, vous êtes pincé. Et père !
— Je savais, dit la voix, que tu viendrais jusque dans ce dépotoir nous regarder nous débattre. Puisque tu les cherches, voici tes fils. Leur autoportrait. Latex et silicone. Plus vrais que vrais. Ils ne savent pas encore que tu existes. Voilà pourquoi je les protége toujours. Ils ont du génie.


La voix se tait. Tambourins et flûte de Pan. Aurore se serre contre Alexis.
— Nous n’en sortirons pas, dit-il. Ressusciter un embryon mort, à la rigueur. Comme l’autre soir, dans l’extravagance et la folie générale. Admettons. Mais je cherche un fils. Pas un tandem de nains de jardin.
Abdah, émergeant à peine de ses brumes, apparaît et vient s’asseoir sur les genoux de Gréta. Il montre qu’il regarde sa montre. La musique s’arrête. La voix reprend.
— Tu m’as mise enceinte. Tu as voulu me faire avorter. Tu m’as enivrée. Tu as voulu me tuer. Tu m’as abandonnée.
Musique et silence.
— Complètement toquée, dit Alexis. Elle aussi doit se camer.
La tenture s’ouvre. Une femme apparaît. Aurore se lève. Elle tend les bras.
— Je vous ai tout de suite reconnue. Vous êtes troublée. Autant que moi.
— Ne soyez pas ridicule, dit Alexis. Vous voyez bien que c’est une poupée en caoutchouc. Assez réussie, je le reconnais. Son vieux fantasme.
Abdah dégaine son revolver. Il dégage le barillet et, en le faisant tourner, vérifie que les balles sont dans leurs encoches. Les coudes dans le giron de Gréta, il tient la crosse de la main gauche. Le canon dans la paume droite.
Abdah est gaucher ! dit Aurore. Il nous l’avait caché.
Le magnétophone se remet en marche. Grésillements. Quelques notes.
Aurore ne peut réprimer un fou rire. Gréta tape des pieds. Derrière les cloisons, des clameurs couvrent l’enregistrement.
La voix s’élève à nouveau.
— Nous préparons le prochain livre. Gréta nous a proposé les notes de son premier mari. Un descendant du botaniste Frédéric de Gingins Lassaraz. Un baron pur sucre. Elle se paiera sur les bénéfices. Ensuite, nous travaillerons sur la vie d’Abdah. Après, il faudra que tu repenses à nous.

Chapitre XXX

Aurore sourit. Hausse les épaules. Certes, elle ne connaît pas la fin de toutes les histoires de la planète. Ni de celle qu’elle vit en ce moment. Mais elle sait que les dénouements tiennent sur les doigts de la main. Et que les épilogues, quoi qu’il se passe, ne valent jamais les prologues.
— L’imagination manque d’envergure, dit-elle. Au Moyen-Orient comme ailleurs. Encore plus dans les Mille et une Nuits. Des histoires de cocus ! Ne se laissent surprendre que les bourriques, les incultes.
Evidemment, Gréta jubile dès que l'on évoque Shéhérazade et son petit monde. Ici ou en Mésopotamie. Le pouce frotté sur l'index elle refait le signe international de l'argent compté.
— N'oubliez pas la leçon d'Abdah, dit-elle. La découverte de notre temps, le sou du pauvre.
En réalité, Aurore se fiche bien de savoir si Abdah et Gréta lui ont appris quelque chose de nouveau sur l’argent, l’immigration. La came. Ou ont voulu se moquer d’elle en lui révélant des évidences.
Son problème reste Alexis. Elle lui prend la main.
— Je commence à être lasse de naviguer dans cette espèce de conte oriental dont ce pays lui-même n’a pas le style.
« Ses Aladin ne valent pas un clou. Il n’a pas de lampe magique à frotter. Et il ne pend pas les porteurs de mauvaises nouvelles aux portes de ses villes.
« Quant à vous… Vous n’éliminez même pas vos maîtresses à l'aube, comme Haround al-Rachid, le calife de Bagdad, savait si bien le faire. La preuve, celle dont on parle vit toujours. Je la sens rôder. Nous épier.
— Mes préoccupations ne nourrissent donc plus votre enthousiasme.
— Quel ennui, déjà, avec ces trouducs. Alors, si vous me forcez encore à y mêler vos frasques, vos manuscrits sous les draps, vos essais de pompe à bicyclette, je ne trouve pas de quoi me réjouir. Je n’arrive pas à me désembuer.
« Vous ne semblez pas, non plus, vous rendre compte que nous sommes en danger. Parviendrons-nous seulement à quitter cette poubelle. Rien n’est moins sûr.


Et bien qu’elle ne pense qu’à partir, Aurore n’arrive pas encore à se voir retraversant le Rhône. Trottinant trois pas derrière Alexis devenu le père étonné d'un fils aux doigts pleins de son encre. Un toquart à la barbe bientôt grisonnante. Avec une grosse belle-fille qui s’appelle Rose, mange des choux et couche à tout va.
Elle sait aussi que, savourant leurs joies simples et préservant leur quotidien, Gréta restera collée à son lait trafiqué. L’Abdah de service à ses extases. Et les infra à leur nuit de potage.
Dans sa crispation, elle aurait aussi tendance à se réjouir que la baraque soit engloutie par la récession qui ébranle des siècles d'histoire. Davantage encore, si elle imagine le quartier croulant sous un trop-plein de drogués. Le mal galopant.
— En attendant, dit Alexis, au cadastre, ils ont dû rire un sacré coup, en mettant le tampon Valable pour un squat. Il y a de la subtilité dans le chocolat au lait.


Un instant déstabilisée, Aurore tente pourtant de reprendre pied. Elle ferme les yeux. Deux doigts au poignet, elle compte les battements de son cœur. Contrôle sa respiration. Et, petit à petit, retrouve quelques bribes de compassion pour ces jeunes gens qui se noient dans les fosses ouvertes à chaque carrefour.
Instants suspendus. Instants de rêve et de miséricorde. Car, comme toujours, elle se représente Alexis à leur âge.
— En effet, dit-il, si vos épaves ont en commun, avec les nains de cette famille, la platitude et la vulgarité de la pensée, la douleur physique de l’état de manque les rachète un peu. Ils sont sans doute moins à plaindre que les escrocs en herbe, sans talent et sans scrupules, qui volent les idées des autres.
— Je veux bien le croire, dit Aurore. Admettez pourtant que, même à court d’imagination, un enfant mal foutu ait le droit de s'amuser avec sa maman et quelques-unes de vos pages perdues. Ne serait-ce que pour vous faire enrager. Que l’un de ces garçons soit, ou non, votre fils.
— En tout cas, j'aimerais voir sa bobine, dit Alexis. Au fait, comment le dessineriez-vous ?

Chapitre XXIX

Course folle. Et cinquante mètres hors d’haleine. L’escalier des sous-sols à remonter. Des couloirs à ne plus savoir où aller. Une porte blindée à chaque palier. Le labyrinthe à l’envers.
Aurore s’allonge enfin sur le canapé du salon, Alexis à ses pieds.
Il tend l’oreille. C’est l’heure à laquelle l’asile semble se détendre. Volets clos. Chaleur et volupté dans l'épaisseur des murs. Autour d’eux, autour de cette pièce, bulle non éclatée, sonne maintenant l'heure des journaux froissés, des gobelets écrasés. La fin des bougies. On devine les allées et venues. Les faux pas.
Presque plus rien. Sauf à imaginer, contre les cloisons, les affaissements. Le chuintement des dos appuyés s’affalant avec des lambeaux de papiers peints. Les plinthes maculées. La trace des doigts. Les gémissements sous les lavabos. La géométrie aléatoire des flaques. Les odeurs sucrées. Grises ou marron.
Gréta fermière, à l’aise dans cette basse-cour, circule l’œil en biais. Elle met les chevillettes et bloque les bobinettes. Elle ferme les judas. Noie des cendres. Mouche les lampes. Confisque les briquets. Et revient à son tour, en robe de chambre, sabots sous le bras, dans cet îlot préservé où elle s'englue, elle aussi.


Alexis se demande par quel prodige de tels cloaques attirent tant de monde. Pour quels paradis ? Vers quelle terre promise ? Il ne s’habitue pas à ce genre de béatitude.
— Etrange bien-être, dit-il. Comment font ces gens pour qu’une telle folie leur soit si douillette malgré les naufrages ? Les gouffres sous leurs pas.
— La maison s’assoupit, dit Aurore. Si nous en faisions autant. Vous ne tenez plus debout. Vous n’avez même pas bu de café. Gréta nous prêtera son lit, si je le lui demande. Je pourrais vous bercer. Dans votre sommeil, vous trouveriez, qui sait ? une réponse à vos questions.
— Avec moi, cela ne marche pas. Et je refuse de dormir ici !
Alexis ne le sait que trop. Les énigmes qu’il résout parfois en dormant s’envolent au matin. Il n’est pas de ces spécialistes de la pensée nocturne qui bidouillent des poèmes dans leurs rêves. Résolvent des équations. Et les transcrivent au petit déjeuner. Comme Einstein. Ou Charles Péguy.
— Si j’avais ce don, je m’endormirais sur le champ en vous bénissant. Au réveil, je vous dirais : Aurore, j’ai trouvé ! Je suis le père du caniche. Il va falloir nous y faire !
« J’ai, jadis, égaré quatre phrases qu’il a recopiées dans son bouquin. J’aurais dû être prudent. Plus attentif. Tant pis pour moi. Demain, je l’invite à dîner. Au dessert, je les lui offre avec un compliment. En le remerciant de leur avoir donné vie. Et je l’adopte.
— Cessez de divaguer, dit Aurore. Vous seriez mieux inspiré de trouver comment nous sortir d’ici. Du reste en est-il temps encore ? Avant le réveil de ces malheureux. Avant que votre ancienne maîtresse ne vienne vous tirer par la manche. Car elle nous guette quelque part. Pour exercer sa vengeance. Exhiber ce fils encombrant. Et nous faire zigouiller.


Une fenêtre bat. Le vent de nuit et la pluie jouent dans les rideaux. La tapisserie surannée, Beauvais rose fané et tabac d'Espagne, frissonne.
La trame déchirée s'entrouvre sous le courant d’air. Animant ses chevaux de laine. La source, la ronde des jeunes filles. Les grotesques, les verdures. Fragile paravent, à peine retenu par une tringle au plafond.
— J'ai pourtant mis du sparadrap sur cette vieillerie, dit Gréta. La brise de montagne s’acharne contre nous. Arrache tout. Cela m’épuise.
L’âge venant, en effet, Gréta supporte moins ces contraintes domestiques qui finissent par la rendent susceptible.
Elle a déjà tant à faire avec les épaves d'écuries qui l’insultent derrière les portes. Tant à faire pour donner le change. Rafistoler. Ecouter. Secourir. Et maintenir son train de vie.
Elle va vers Alexis.
— Alors, toujours préoccupé par votre petite personne ? Pensiez-vous que nous allions vous accueillir avec une fanfare. Un livre d’or. Vous trouver des excuses.
« Si la paternité et le sort de cette mère vous avaient vraiment intéressé, depuis le temps, vous auriez réussi à satisfaire votre curiosité. Assez malsaine à mon avis. Demandé pardon. Et pris la route du retour. Aurore au bras.