25 nov. 2007

Chapitre I


Sur les bords du lac de Bienne, joyau du canton de Berne et de la Suisse alémanique entre l’île Saint-Pierre et celle des Lapins, midi tinte dans l’équinoxe de printemps.
Suspendu au parachute ascensionnel de la plage un homme plane tant bien que mal au-dessus d’une troupe de danseurs musiciens. Et les invective.
— Je vous scandalise, bande d’amateurs, tant mieux ! J’ai fécondé le lac... et alors ? Ça, au moins, c’est du spectacle ! Faites-en autant ! Prenez-en de la graine. Regardez-moi, généreux comme Priape. Adroit comme Guillaume Tell. Plus rêveur que Jean-Jacques Rousseau. Quoi encore ? Je m’appelle Alexis.
A ce moment, happée par les courants d’air, la voile tourbillonne, décroche et manque de se fracasser. Dans un sursaut pourtant, Alexis retrouve un peu d’équilibre et deux mètres d’altitude.
Cependant, eu égard aux enfants qui le montrent du doigt et lui font des grimaces, il remet un peu d’ordre dans son déguisement d’arménien. Un accoutrement à la Jean-Jacques Rousseau qu’il s’est fabriqué, dix minutes plus tôt, en sautant de voiture. La toque de fourrure. La houppelande. Et le gilet qu’il reboutonne, non sans effort.


Vue des berges, entre les goélands et les peupliers, l’exhibition n’est pas du goût de tout le monde. Poings tendus, certains l’insultent et tentent de l’attraper.
De plus farouches qui ne veulent pas que l’on touche, même en plaisantant, à l’image du Citoyen de Genève, peinte par Ramsay, lui lancent des cailloux et des pommes. A la mode du pays.
En d’autres temps, c’est dans ces parages, en effet, que le Promeneur solitaire avait failli être lapidé. Mais avait aussi griffonné, sur des cartes à jouer, ses idées sur le bon sauvage et la civilisation occidentale.
Depuis, la rive est sacrée. Et l’esprit du philosophe rayonne comme jamais. Du reste, les amateurs d’herbe et de nouveaux horizons ont vite compris le parti qu’ils pouvaient tirer de sa façon de voir le monde. En tout état de cause, l’économie locale prospère.
S’étant alors détaché du groupe, un porte-parole interpelle Alexis.
— Qui êtes-vous pour nous déranger. L’ange Gabriel. Ou les Renseignements généraux ?
Surpris, Alexis bredouille et se trouble. Il tire trop sur le harnais du parachute captif, emmêle les sangles et, cette fois, roule au sol. Le plagiste bondit. Le déharnache. Empoche son dû. Et file déjeuner. Midi tinte dans l’équinoxe de mars.


Passant la frontière, une demi-heure avant cette halte, Alexis s'était déjà étonné de rencontrer tant d'étrangers aux étrangers habituels.
Tant d’étrangers aux alpins libanais et syriens, pétroliers du Qatar, du Yémen ou du Nigeria qui, depuis des lustres, cantonnent autour des banques.
Il découvre maintenant que des familles et des villages entiers se mêlent aux populations jurassiennes jusque sous la Chaux-de-Fonds.
— Ces gens font sans doute partie des peuples issus des marches de l’Asie et des Afriques à la coupe desquels, dans ma jeunesse, je me suis si souvent abreuvé. Quel furieux catalogue ! Mais comment traduire cette géographie en politiquement correct et en culture actuelle ? Moi qui n'ai pas le don des langues, ni celui de l’étymologie. Tout pâlit et se ternit si vite.
Une femme ramasse une pierre et, à son tour, interpelle Alexis.
— Nous, dit-elle, nous sommes les enfants chéris de la votation. Le référendum minute des dimanches autour des lacs. Nous protégeons les montagnards des esprits forts dans ton genre. Le long de ses torrents, nous chantons et dansons la grandeur de ce pays d’altitude. Alors, espèce d’exhibitionniste ! de quel droit nous interromps-tu ? Et c’est quoi ton nom ? Répète ! Ou nous allons te lapider. Comme Jean-Jacques l’a été. Mais nous, ensuite, nous te boufferons.
— Et moi je rêve, dit Alexis.

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