25 nov. 2007

Chapitre III


Alexis esquive et se blottit sous la carriole. Derrière lui, quelqu’un croque une pomme et le pince au bras.
— Je viens à votre secours. Vous êtes ridicule.
C’est la voix de celle qui, partageant sa vie, le guide parfois. L'encourage, ou le tarabuste. Et l'a soutenu du regard par une fenêtre de l’hôtel du lac lorsque, suspendu à son parachute, il se donnait en spectacle.
— Vos propos ne riment à rien. Vous n’êtes ni d’Asie ni d’Afrique. Et vous n’allez pas réformer le monde. Quittez ce déguisement et laissez ces gens tranquilles.
Quant au rejeton, évitez de vous embarrasser. Pensez à Rousseau qui abandonna les siens. Ou aux frères Goncourt qui n’en voulurent pas. Cela dit, si la paternité vous tracasse à ce point, ne cherchez pas midi à quatorze heures, faites-moi un enfant.
Une clameur met fin à cet aparté d'amoureux. Gonfle les cous et les poitrines de la foule qui savoure ce qu’elle croit être les bons côtés de la démocratie. Assurée que cette terre d’accueil restera préservée des aléas de l’histoire.
Les dames patronnesses, fières d’avoir été mobilisées par le canton, ajoutent à l'enchevêtrement en se faisant anguilles dans cette vase.
Et les artistes, attirés par des odeurs de bouillon et de méthadone que l’on prépare à leur intention, courent prendre un en-cas avant de se regrouper.


Alexis voyant venir les ennuis, remonte sur la charrette.
— Laissez-moi vous rappeler que l’humanité adore lapider. Depuis toujours. Sans grand résultat. Les pierres ne sont pas seulement des objets de mort mais aussi des germes de vie. Au lieu de les jeter sur moi, lancez-les derrière vous ! Comme Deucalion et Pyrrha, après le déluge. A votre tour, vous créerez une nouvelle race d'hommes. Vous au cube ! Mieux qu’un clone. Et si cela ne marche pas, votre tentative aura eu de l’allure. Faites preuve de sagacité !
Mais ces gens n’écoutent plus. Les subtilités qu’ils prennent pour des injures les rendent incontrôlables. Ils commencent à bombarder Alexis avec tout ce qui leur tombe sous la main
Tumulte. Exaspération. Chaleur. Dans la fumée des braseros qui se mêle aux jets de pierres et de nourriture, la situation dégénère. Et les moustiques, ivres de citronnelle ou rendus fous par le tohu-bohu, attaquent ces êtres courroucés.
Profitant du désordre, Alexis et sa compagne réussissent à s’éclipser.


La compagne d’Alexis, celle qui, de temps en temps lui souffle dans l’oreille, s’appelle Aurore.
— Nous l'aurons échappé belle. Mais vous m’épuisez avec vos calembredaines. Depuis hier soir, vous êtes insupportable.
— Ce n’est pas de ma faute, dit Alexis. Chez nos nouveaux voisins, à ce dîner d’imbéciles, vous ne m’avez même pas regardé. En voiture, ce matin, vous me faisiez des scènes. Vous me provoquiez sans cesse avec vos envies de clandestins que vous imaginiez entassés dans les camions. Vous divaguiez sur leur virilité. Vous vouliez les prendre avec nous. Faire des comparaisons. A chaque carrefour, vous me proposiez de nous arrêter pour faire l’amour.
— J’étais jalouse, dit Aurore. Atterrée par votre histoire de maîtresse retrouvée. De paternité oubliée. Pendant que vous conduisiez à tombeaux ouverts, il fallait bien que je cajole un peu mon âme. Mais je n’aurais pas pensé que mon désarroi eût pu vous mettre dans cet état d’agressivité. Et c’est à de pauvres bougres que vous vous en prenez maintenant.
Alexis baisse le nez, consterné d’être à ce point mal compris. Il enrage qu’une telle aventure lui soit tombée sur le dos et qu’il ne puisse se défouler tant soit peu sans provoquer des drames. Si Aurore est malheureuse, il est crucifié.
— Très bien, dit-il, j’arrête. J’enlève la toque et la pelisse. Mieux ! Je vais les leur offrir. Ne parlons plus de cela. A aucun prix je ne voudrais gâcher notre voyage.
Alexis arrondit son bras autour des épaules de la jeune femme.
— Douce Aurore, nous étions sur pied aux lueurs de l’aube. La matinée s'achève à peine que l’on me persécute déjà. Puisque les rives de ce lac me sont hostiles et que nous n’avons pas encore eu le temps de nous aimer, emmenez-moi dans votre auberge. Je ne m’occuperai plus que de vous.

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