25 nov. 2007

Chapitre IV


Ainsi filait, en dialogues complices et petits pas, la vie fantasque de ce couple haut perché que ses animaux familiers même, à la maison, regardaient yeux mi-clos, avec bave et compassion.
— Nous ne savons pas, disaient-ils entre eux, si nous avons de bons maîtres, mais nous leur sommes attachés et supportons mal qu’ils partent. Nous préférons les subir la panse pleine. Saurons-nous jamais quel est notre sort ?
Pourtant, hermétiques à ce chantage, Aurore et Alexis avaient décidé, comme cela arrivait parfois, de s’évader quelques jours. Aurore ayant dit, regardant le ciel ...
— J’ai une idée ! Je propose de remonter le Rhône. Et d’aller voir, près des glaciers, le réchauffement de la planète. Nous partirons demain. Puisque, ce soir, vous avez accepté, pour je ne sais quelle raison, l’invitation de nos nouveaux voisins.


Le lendemain matin, hélas ! Alexis avait encore la tête à l’envers.
N’avait-il pas découvert à ce dîner qu'une partie de sa jeunesse lui avait échappé. Et qu’il était devenu, les hors-d’œuvre à peine servis, le père d’un garçon de vingt ans.
Et cet homme, peu sensible au hasard ni à ces fausses reconnaissances qui font pourtant de si jolies légendes, surpris et perdant ses repères, s’était figé. Sans humour, sans voix, sans à-propos. Bouche pleine et fourchette levée. Mémoire bloquée par cette voisine qui surgissait soudain. Une petite fille qu’il avait cru morte déjà du temps de leur adolescence et dont il avait perdu jusqu’au souvenir.
Esprit fracassé, surtout, dès qu’il avait été question d’un des fils de cette femme. Un benêt qui publiait son premier roman. En fait, une bluette à travers deux pages de laquelle, lorsque les autres invités avaient salué un talent naissant, Alexis avait reconnu, pour les avoir écrites jadis, quatre phrases et trois idées.
— Le salaud, avait-t-il murmuré. La garce !


Alors, de la pointe du pied, sous les nappes, entre les pieds de chaises ou les jambes qu’il confondait, Alexis avait cherché le genou d'Aurore.
Sur la terrasse sa main. Au salon, ensuite, son bras pour ne plus dériver. Rester présent. Suivre, si possible, les conversations. Comprendre la situation dans laquelle une femme l’engluait. Peine perdue.
Aurore très entourée et déjà toute à son voyage ne se rendait compte de rien. Tandis que Alexis, battant la campagne, n'avait plus desserré les dents de la soirée.
Un instant seulement, une anecdote sur Jean-Jacques Rousseau honorant les lacs et les bois de sa semence, l’avait déridé. Et avait ravivé son goût pour les déguisements. La provocation et les discussions.


Après cette soirée catastrophe et une fin de nuit agitée, petit-déjeuner avalé, mais soudain pressé de suivre Aurore, Alexis sauta en voiture.
— Vous avez raison. Sortons d’Europe. Allons aux Helvètes. Remontons le fleuve que Mistral, cet âne bâté, appelait lou Rose. Après avoir taquiné la fée verte avec ses petits amis des garrigues. Des pistachiers. Des cuistres imbibés d’absinthe. Comme lui. Avant d’atteindre les sommets, nous pourrions même faire halte près du lac de Bienne où tant de gens aiment rendre hommage à la nature.
— Oh ! oui, dit Aurore. Et nous verrons si cette minuscule terre alpine reste le sanctuaire bien connu de la paix. De l’ordre, des traditions. De la singularité. Au centre d’une Europe aux dents longues. Si le génie du lieu la défend et la protège toujours. Et continue de faire d’elle une terre originale. Bénie des dieux.

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