8 déc. 2007

Chapitre IX


Alexis roule maintenant comme un fou et parle littérature. Amours de jeunesse. Lit frais. Jardins et bains jacuzzi.
— Au fait, dit-il, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi je vous ai offert un godemiché ?
— Parce que, sans risque, vous vouliez voir comment je me donne. Voilà bien un cadeau d’homme ! Maintenant si je dois en déduire que vous souhaitez me partager avec d’autres, vous aurez des difficultés à me convaincre. Avant-hier soir, notre nouvelle voisine semblait moins farouche. Entourée de ses anciens sigisbées, ne prétendait-elle pas avoir toujours été amoureuse de plusieurs hommes à la fois.
« Une telle assemblée aurait dû vous rassurer. Avec deux ou trois amants en même temps, cette paternité qu’elle cherche à vous faire endosser pourrait bien battre de l’aile. Ne pensez-vous pas ? Maintenant, si vous croyez que cette femme, en plus de votre sexe, s’est servie d’un de vos textes pour vous manipuler, il faudra stimuler autrement votre mémoire. Hésiteriez-vous ?
— Justement, dit Alexis, lorsqu’ils répétaient en riant, Le parc Monceau est une frontière... les avez-vous entendu rire et ne rien comprendre. Ces paysans, ces soupes, ces gens de paille et de nature ennemie.


Cette phrase, en effet, cent fois écrite, abandonnée et reprise, à qui d’autre que lui pourrait-elle appartenir. Elle traverse tous ses livres, toute sa vie.
Les pelouses interdites tapissent la tête des petits garçons. Et les filles en souliers vernis se confondent avec les jeunes gouvernantes. Avec les amies de la famille dont les hanches, dont les corsages, ont le parfum des mères trop souvent absentes. Trop courtisées. Cela aussi il l’a écrit.
La peau si douce. Le rouge à lèvres et la poudre. Les gants, les fourrures. La connivence de ces femmes l’ont si bien préparé à l'adolescence qu’il ne peut pas se tromper.
Le parc Monceau est un premier roman où, à chaque page, il s’était offert. Où d’emblée, au dîner, à ce nom de parc prononcé, il s’est reconnu.
— A dix ans, dit Alexis, rien ne m’intéressait. Ni les jouets, ni les carrières. Je n’aimais que les femmes. Elles seules. A regarder, à caresser.
« Dans mon âge d'or, assis au centre de mon parc de verdures, j’avais déjà eu une demi-douzaine de sylphides à mes pieds. Des déesses de douze ans. De quinze ans. A peine défroissées. Des préceptrices odorantes, brûlantes, soyeuses. Venues du fond des familles. Attentives et fascinées par mon sexe de petit garçon. Tellement nues dans la salle de bains et déshabillées à mes repas. Toujours émerveillées devant le bambin bandant et pisseur qu’on leur prêtait.
« Ces nymphes que je touchais, coiffais, adorais à longueur de journée, me faisaient la belle enfance. La belle aurore, douce Aurore. Impudiques et souriantes à leur tour, quand elles s’habillaient devant moi, qui ne comptais que pour du beurre. Moi qu'elles faisaient semblant, à la toilette, de ne pas voir, et déguisaient en poupée. Femmes pour moi seul, avec leurs marques d'amour neuf. Au seuil de la vie. Complices, roublardes. S’essayant à bon compte.
— Suis-je distraite, dit Aurore.


Alexis raconte alors qu’il pourrait vivre mille ans avec ce bagage. Grâce à elles, il parlait déjà de la mort avec cette volupté.
— Et si mon sexe vous captive tant, Aurore, c’est que je ressemble encore, parfois, à cet ange tout en couilles et en larmes de reconnaissance.
— Voilà enfin un préjugé qui tombe à propos de ces messagers. J’avertirai l’archevêché.
— Les araignées me terrifiaient, mais je n'avais pas peur de mourir. Tandis qu’aujourd’hui, je nargue peut-être, et je défie. Mais je crève à la seule idée de vous perdre. Quand vous ne respirez pas près de moi, quand vous ne battez pas chaque cil pour moi seul, la vie m'est insupportable. Je déchante et je meurs. Le reste…
— Vous semblez mourir souvent. En attendant, voici la frontière. On s’arrête. Et l’on paie la taxe d’autoroute. Arrêtez-vous donc !

Aucun commentaire: