16 déc. 2007

Chapitre XXXI

Aurore esquisse de la main une forme de cafetière à long bec… lorsque, sous une rafale plus forte, le vieux Beauvais frémit. Se décroche. La frôle et s'abat au ras du canapé.
Un mouchoir sur la bouche pour ne pas étouffer, elle regarde Gréta qui éternue.

— L’heure a donc sonné. Vous l’aviez laissé entendre.
Aurore parle dans la poussière, sous les étincelles. A la lueur des bûches ranimées par le courant d’air.
Elle se souvient que, dans la voiture, au téléphone, elle s’était extasiée sur le Rhône à remonter. L’esprit des glaciers. Les lacs de Guillaume Tell. Le génie du lieu.
— J’aurais dû évoquer les sources de la Seine. Ou le Liré. Nous n’aurions pas été piégés. Depuis le dîner d’avant-hier, ces gens ne nous lâchent plus. Ils auront eu le temps d'organiser notre disparition. Cet asile obéit à une logique qui n’a rien à voir avec la nôtre. Gréta est dans la confidence. Je pense au chien et au chat. Que vont-ils devenir ?


Dans le prolongement du salon, la poussière retombée laisse apparaître une sorte de boudoir à la Viollet Le Duc. Avec causeuse bancale, coussins, poufs déchirés. Les tentures assombrissent encore l’amoncellement de caisses, de cartons et de matelas sur lesquels trône un personnage en culottes courtes. Un autre, identique, s’accroche à son cou.
— La cafetière ! dit Aurore. Je le reconnais. Tout à l’heure, il se déguisait en Molière. Il laissait entendre que vous pourriez être son père. Vous qui vouliez le voir ! Plus de doute sur votre paternité. Je crois même entendre piailler sa mère, votre ancienne maîtresse. Ecoutez !
Une voix de femme, en effet, s’élève dans la pénombre. Mal assurée et assez faible sous les draperies.
— C’est sa voix, dit Aurore. Je ne me trompe pas. Le musée Grévin parle. Alexis, vous êtes pincé. Et père !
— Je savais, dit la voix, que tu viendrais jusque dans ce dépotoir nous regarder nous débattre. Puisque tu les cherches, voici tes fils. Leur autoportrait. Latex et silicone. Plus vrais que vrais. Ils ne savent pas encore que tu existes. Voilà pourquoi je les protége toujours. Ils ont du génie.


La voix se tait. Tambourins et flûte de Pan. Aurore se serre contre Alexis.
— Nous n’en sortirons pas, dit-il. Ressusciter un embryon mort, à la rigueur. Comme l’autre soir, dans l’extravagance et la folie générale. Admettons. Mais je cherche un fils. Pas un tandem de nains de jardin.
Abdah, émergeant à peine de ses brumes, apparaît et vient s’asseoir sur les genoux de Gréta. Il montre qu’il regarde sa montre. La musique s’arrête. La voix reprend.
— Tu m’as mise enceinte. Tu as voulu me faire avorter. Tu m’as enivrée. Tu as voulu me tuer. Tu m’as abandonnée.
Musique et silence.
— Complètement toquée, dit Alexis. Elle aussi doit se camer.
La tenture s’ouvre. Une femme apparaît. Aurore se lève. Elle tend les bras.
— Je vous ai tout de suite reconnue. Vous êtes troublée. Autant que moi.
— Ne soyez pas ridicule, dit Alexis. Vous voyez bien que c’est une poupée en caoutchouc. Assez réussie, je le reconnais. Son vieux fantasme.
Abdah dégaine son revolver. Il dégage le barillet et, en le faisant tourner, vérifie que les balles sont dans leurs encoches. Les coudes dans le giron de Gréta, il tient la crosse de la main gauche. Le canon dans la paume droite.
Abdah est gaucher ! dit Aurore. Il nous l’avait caché.
Le magnétophone se remet en marche. Grésillements. Quelques notes.
Aurore ne peut réprimer un fou rire. Gréta tape des pieds. Derrière les cloisons, des clameurs couvrent l’enregistrement.
La voix s’élève à nouveau.
— Nous préparons le prochain livre. Gréta nous a proposé les notes de son premier mari. Un descendant du botaniste Frédéric de Gingins Lassaraz. Un baron pur sucre. Elle se paiera sur les bénéfices. Ensuite, nous travaillerons sur la vie d’Abdah. Après, il faudra que tu repenses à nous.

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