13 déc. 2007

Chapitre XVII

A cet instant, en effet, entre un petit garçon. Râblé. Cheveux en brosse. Culottes courtes. Tête carrée.
Il sifflote et saute sur une chaise qu’il bascule en équilibre, dossier en avant. Puis entreprend une marche en canard. Et se colle sur le visage un masque de carnaval.
Aurore souffle dans l’oreille d’Alexis.
— Ne serait-ce pas plutôt un nain. En tout cas, il aime se déguiser et se rendre intéressant. Peut-être a-t-il de qui tenir. Mais je serais navrée de vous voir avec un fils pareil.
Le garçon s’approche d’Aurore.
— Hello ! dit-il. Si la roue tourne je pourrai toujours me reconvertir dans un cirque. Regardez, avec perruque ! Molière vous salue. Qu'en pensez-vous ?
— J’apprécie mal, cher garçon. Les clowns ne m’amusent pas. Vous risquez de tomber.
Toujours sur la chaise, le nain fait le tour du salon.
— Je crois entendre notre fiancée avec ses conseils. Une immense grosse. J’aime les grandes grosses. Mon frère aussi. Comme les Goncourt. Au fait, les Goncourt, vous connaissez ? A leur exemple, nous partageons nos femmes, nos plumes. Et nos fringales de choux. Cette fille, ils l’auraient adorée. Les Goncourt… une idée de notre mère pour nous stimuler.
« Elle travaille dans l’édition. Elle aimerait écrire. Elle nous refile des manuscrits refusés. Ou trouvés chez ses amants. Un fatras que nous décortiquons. Pour piquer une phrase. Une idée. Moi, je suis le littéraire. Mon frère a un faible pour la barbouille et les personnages en latex. Un fantasme de famille. Il y en a partout.
« Nous sommes une sorte de Toulouse-Lautrec en double exemplaire. Deux cafetières à long bec, posées sur un coin de table, ne réchauffent pas que le cœur. Si vous voyez ce que je veux dire. Notre petite taille déconcerte. Avec les grandes grosses nous sommes mieux compris.


Aurore qui aime les animaux et cherche à se distraire de l’ambiance voit avec plaisir le chien de la maison venir vers elle.
Elle tend la main. Le chien se dresse sur ses pattes arrière et avance le museau. Il a un beau regard de blonde.
— Voici notre fiancée, dit la cafetière. Lorsque nous nous déguisons, elle fait le chien. Un sacré gabarit.
— Bah ! dit le chien, nous marchons si peu l'un à côté de l'autre. Je porte de hauts talons pour me grandir encore. Lorsqu’il descend de sa chaise, c’est qu’il passerait debout sous mes jambes écartées, le petit vicieux. Ils m’ont surnommée Rose, comme la bonne des Goncourt. Ainsi, vous seriez les invités de mes fiancés.
— En tout cas, dit Aurore, nous étions attendus. Dans la voiture, au téléphone, j’ai sûrement trop parlé. Cela va mal finir.
— Peut-être serait-il temps, dit Alexis, de regarder derrière les judas ce que l’on cache.
Le nain, toujours sur sa chaise, s’approche de lui.
— Derrière les cloisons, dit-il, il y a parfois des enfants en bon état. Moins de garçons, ces temps-ci. Si je trouve une fillette qui vous aille, vous l'achetez ?


Nuit close. La pluie cesse. Et reprend. Le nain explique que l’adoption clandestine ferait un bon sujet de roman. Le genre renouvelé du rapt des enfants mis en caque jusqu’à la Saint-Nicolas.
Avec une petite fille, ils bricoleraient une histoire en douceur, entre gens bien élevés. En pédophiles qui les aiment. Non en pédérastes qui les défoncent. Leur mère saurait les aider à en tirer quelques pages.
— A moins, dit-il, que des siamoises… J’en connais une paire, à trois pas d’ici. D’honnêtes intermèdes dans les partouzes lorsqu’elles se tripotent. Et pas cher ! Intéressé ? Feriez-vous le difficile ? Très bien, pas de monstres. Mais pour une poupée, nous y allons quand vous voulez.
Alexis se penche vers Aurore.
— Il m’intéresse, ce con. Merde à la fin ! N’ai-je pas roulé toute une matinée pour trouver une progéniture. Ne l’ai-je pas assez répété dans mon allocution, au bord du lac. Je ne vais pas me renier si vite. Je cherche un garçon de vingt ans, si c'est une petite fille, après tout...
— Je la choisirais bien élevée. Blonde, Intelligente, dit le nain. Neuf ou dix ans. Une bonne élève de nos montagnes, pas encore esquintée par la came. Restent les conditions, ce sera facile. Regardez-vous, prêt à manger dans ma main. Moi qui pourrais être votre fils. Mais décidez-vous rapidement. Nous rentrons à Paris. Le train part dans une heure.
Aurore, l’index sur le front, lui rend son sourire.
— On ne traite pas les gens ainsi, surtout les petites filles.
— Et vous, comment nous traitez-vous ? Pourquoi nous mêler à vos divagations littéraires, à vos regrets. Vos frustrations, vos doutes, votre équipée d'obsédés. A la fin, pourquoi êtes-vous ici ? Qui êtes-vous ? Ma mère a dit que nous allions avoir de la visite. Elle n'a pas parlé d’inquisiteurs.
Aurore prend Rose par la laisse.
— J’ai besoin de respirer. Montrez-moi le parc. Mais enlevez vos oripeaux et coiffez-vous autrement. Vous ressemblez trop à un barbet.

Aucun commentaire: