13 déc. 2007

Chapitre XIV

Ce qu’il reste du livre flotte au-dessus des cuisses d’Aurore. Dérive vers le nombril. Entre les seins. Se stabilise d’un mouvement d’épaule.
— Tenez, dit-elle, ce passage. Si, si. Je lis encore. Juste une phrase ou deux. Sa conquête lui écrit.
« Au courrier, votre télégramme. Désirs précis. Suis seule. Attente. Stop. »
— Maintenant, dit Aurore. il parle d’un arbre.
« J'aimerais attacher ma vie à celle d'un platane... Je reste attentif à leur splendeur blonde. »
— En aucun cas je ne signerai cette splendeur-là. Je me tuerais plutôt, dit Alexis, soulevant Aurore hors de la baignoire.
Dans ses bras, Aurore est une ventouse de cinquante kilos. Elle pose le livre sur la tête d’Alexis qui lutte contre cette lecture. Qui ne distingue plus ce qu’il croit lui appartenir. Les mots et les phrases se ressemblent tellement.


Alors Alexis frictionne Aurore. La sèche et l’habille. La déshabille à nouveau. Prend un bain, à son tour. Sort de l’eau. Joue encore avec Aurore. La coiffe et la maquille.
Il ne sait que faire pour ne plus entendre sa voix amusée. Aurore qui se moque de lui. Et lit toujours. Ravie qu’il s’occupe ainsi d’elle.
— La réponse de la fille vaut sa splendeur blonde. Ecoutez.
« J’ai lu votre lettre en me caressant. Et je l’ai mangée. Avec du lait et des flocons d'avoine. Ce n’est pas si difficile. Vous étiez au bout de mes doigts. Une pelote… »
— Ah, oui ! Une pelote de soie, dit Alexis. Sa vulve durcie, luisante, si douce.
— Ce n’est pas vrai ! Vous n’écrivez pas des choses pareilles.
— Ne vous troublez pas. A tant faire, s’il avait eu un peu d’humour, le jeune couillon aurait pu ajouter une pompe à bicyclette ou des aiguilles à tricoter.
La lecture ne ressemble plus à rien. Le livre non plus. Aurore le jette dans la corbeille à papiers.
— Vous avez raison. La femme de chambre le ramassera. Mais dites-moi, gentille et pudique Aurore, pourquoi ne m’avez-vous pas lu les dernières lignes de ce torche-cul ?
— A vos yeux navrés, j'ai cru que vous les aviez devinées.


Pendant qu’ils s’habillent, Alexis cherche quand même à savoir quelle peut être la fin du petit roman.
— Entre les temples grecs à Paestum, dit-il, le caniche a sûrement choisi un dénouement en harmonie avec le paysage. En phrases subtiles. Elégantes.
— Vous n’y êtes pas, dit Aurore. Laissez enfin cette littérature de quatre sous et les bords de mer. Vous êtes venu à la montagne pour trouver une réponse à vos tourments. Vous n’avez encore que des incertitudes. Et une jambe en l’air. Si je vous laisse continuer, vous allez en profiter pour m’énerver avec des souvenirs personnels.
« Mais puisque vous y tenez, je vous propose une fin que le petit voleur aurait pu vous emprunter. Trois phrases et une idée. Un autre parc Monceau. Prenez-moi la main.
Aurore ferme les yeux et invente à mi-voix.
— A la cafétéria du musée de Salerne, l’archéologue voit revenir sa femme et le jeune homme.
— De quoi parliez-vous ?
— Notre ami n'a pas lu Le Journal d’un Génie, de Salvador Dali. Je lui racontais l'anecdote des étrons sur la plage de Cadaquès.
— Ah, oui ! dit le mari. Dali a dû s'inspirer du détail des Proverbes flamands de Bruegel : Deux qui chient au même trou.
— Alors ça ! dit Alexis, vous ne manquez pas de toupet. Je ne signe pas des choses pareilles. Vous venez de le dire. Et vous ne me ferez jamais les écrire.

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