13 déc. 2007

Chapitre XV

Après la lecture, après le bain, Aurore et Alexis sortent bras dessus bras dessous. En cette fin de matinée, ils cherchent où déjeuner.
Aurore, telle la luzerne qui fabrique son azote, pétille et valorise sa joie de vivre. Alexis retrouve ses métaphores.
— Vous êtes, lui dit-il, une mouline au bord d’un torrent. Vous faites de ma cervelle une farine. Et moi, très entoilé, façon biplan d’aéroclub, je plane attaché à vos ailes.
— Pourquoi pas, dit-elle. Avant-hier, à cette heure-ci, vous vous suspendiez à un parachute pour faire le malin. Vous restez fidèle à votre image.
La ville à droite. Le lac à gauche. Et vice-versa. Une averse sous le soleil les émerveille.
— Buée bleutée, dit Aurore. Je pourrais faire mieux si vous n’aviez qu’un œil allumé. Mais vos yeux sont des braises.
Attentifs et joyeux, ils traversent les rues en zigzag. Caressent les chiens. Se bousculent. Montrent au passage les maisons qui pourraient les séduire. Du menton ils en interrogent quelques-unes. Passent outre et remontent vers le centre ville. Alexis toujours arc-bouté sur sa croisade. A l’affût d'un rien. Aurore, pour le plaisir.


Déjeuner avalé, ils reviennent près de l’eau. Pas cadencés, phrases brèves et chansonnettes.
L’après-midi passe. Et l’heure du thé. La pluie encore. Fatigue aidant, ils ralentissent l’allure.
— Mettons-nous à l’abri, dit Aurore. Nous devons ressembler à la famille Fenouillard. Harassée devant le Mont-Saint-Michel. Redoutant la marée. Pas brillante. Sans parapluie.
« Ne rêvons plus. Choisissons une maison qui ressemblerait à celle de mon plan de bataille. Sur ces berges, nous n'avons que l'embarras du choix. Celle-ci, par exemple. Délabrée au possible. Un squat, qui sait ? Du reste, vous n’avez pas cessé de la regarder. La pluie et la nuit nous escortent. Y allons-nous ?


Ils courent. Alexis lui prend le bras. Elle retire ses souliers.
— Serrez-moi fort. J'aime deviner sous mes pieds blancs le vert de cette pelouse. Effleurer le marbre fendillé de ce porche. Ils me roborativent.
Elle pousse une porte entrebâillée. Alexis ferme les yeux. Une femme en tablier sort de l’ombre.
— Je vous distingue mal dans le contre-jour. Etes-vous en manque ? Avez-vous soif ?
— La maison parle, dit Aurore. Nous ne pensions pas vous déranger.
— Qui donc le pourrait encore ! Etes-vous acheteurs ? Tant de bruits circulent. Entrez ! Vous êtes trempés. Nous sommes-nous déjà rencontrés ? Vous prendrez bien un verre de lait. Une orangeade ? Qui que vous soyez, cette maison est la vôtre. Enfin, cela se dit. Je m'appelle Gréta.
Alexis lâche le bras d’Aurore. Entre à son tour. Et bondit dans la pénombre. Tout à trac, avec fracas et détermination.
Il saute dans le vestibule. Gambade où il peut. Disparaît dans le grand escalier. Redescend.
Au salon, il pousse une table. Soulève des rideaux. Repart et revient. S’empêtre dans un vieux Beauvais mal suspendu par une tringle au plafond.
— Elle a envoyé le chauffeur prendre une pompe à bicyclette dans le garage. Elle s’est allongée sur ce canapé, là où vous vous asseyez. Décidée à faire sauter le polichinelle. Nous nous sommes lavé les mains à la vodka. Pour aller plus vite, je lui disais de boire au goulot. De se tenir les chevilles. Elle priait. Me traitait de salaud en riant aux éclats. Elle voulait des égards. Elle prétendait que les femmes gravides ont des priorités. Des places réservées dans les transports en commun.
— Même si vous connaissez cette maison, dit Aurore, ce n’est pas une raison pour vous conduire en fou furieux.
Alexis se laisse tomber sur le canapé. Il reprend haleine.
— Nous avons continué à boire et à chanter. Par cette mise à mort, nous allions retrouver notre enthousiasme. Notre joie de vivre. Nous avions tant de rêves.
« Et puis, nous avons fait l’amour. Elle, mimant la bonne à la cuisine, une fille de Zoug. Zoug, cela ne s’invente pas ! Et moi, le chauffeur. Un barbu de Méditerranée orientale. Je crois. La première fois que j’ai mis la pompe, elle a eu un sursaut. Et la frousse. Bien sûr. Mais cela s’est arrangé. Elle était grise, elle riait. Elle m’aidait de ses doigts et de ses soupirs. Ensuite, elle s'est endormie, ivre morte, tandis que je dépompais pour faire venir.

Aucun commentaire: