15 déc. 2007

Chapitre XXIII

Gréta des prairies et du sainfoin montre alors sa banque alternative, nichée en contrebas à gauche de la galerie. Une banque d’épaves qu’elle mène au doigt et à l’oeil.
Dès qu’un nuage passe sur les Quatre-Cantons, à califourchon sur sa caisse, tranquillisée par le ruissellement des dividendes, le clinquant de tous les possibles, elle déverrouille son guichet.
— Le change menu, dit-elle. La banque boutique. Ma nouvelle aventure. Et je compte. Les billets sales, les chèques déchirés et rapetassés au scotch. Les pièces tordues qui entrent à la pelle. Je lave en machine les espèces venues des soupentes, des arrière-salles, par pleines poussettes de clochards. Avant de les entasser dans mes propres poubelles. Je n’ai pas d'huissiers ni de halls en marbre, mais deux ou trois jeunesses qui, pour un jeton, montent avec le chaland, si ça lui fait plaisir.
— Devrais-je vous croire ?
Gréta parle de la voix étrange des apparitions. Souffle neutre contenu. Avec un semblant de lévitation et ce qu’il faut de vide dans le blanc de l’oeil.
— Cela ne cesse d'affluer, dit-elle. Dans les besaces des routards. La manche des artistes. L'argent compte-gouttes des petits loyers, des immeubles insalubres. Celui des sans-papiers et des sportifs. L’argent des troncs d'église, des fausses factures et des signatures imitées.
« A moi les petites coupures ! Aussi vivantes que les dollars comptés entre le pouce et l’index, à la manière des chauffeurs de taxis new-yorkais. La gratte des domestiques. Celle des tickets de courses et du bonneteau. L’argent des toilettes publiques et des parcs mètres. Celui que l’on vole aux assistés. Aux infirmes. Les tirelires cassées. Les pots-de-vin. Les collectes humanitaires. Les rentes viagères et les testaments bidonnés. Tout bénéfice !
« Je prends. J’entasse. Je ne fais pas crédit. Je pratique l’usure de l’usure. A l’heure du thé, je cadenasse. Ni vu ni connu. Tout à l’heure, lorsque vous êtes venus frapper à la porte, je venais de fermer. Cela non plus, vous ne le saviez pas.


Alexis se mordille un ongle. Tout ligoté dans son nombril. Intelligent à peine assez. Ne pensant qu’à son manuscrit traficoté. A son fils incertain.
— Ma réalité, dit Gréta, est autrement plus cruelle et folle que la vôtre. Ouvrez les yeux. Tous les paumés du monde viennent biberonner dans mon giron et cherchent à me voler l’aumône. Ils ont fait de mon ventre une oasis. Une terre d’accueil, d'humanisme, de tolérance. Et de liberté. Mais, comme par hasard, à mille lieues de la leur. Ils sucent mon lait concentré et me payent en vérole.
« Vous cherchez un fils ? Choisissez dans le tas. J’ai tout ce que vous voulez dans des piaules à ne plus savoir qu’en faire. Prenez les miens ! Tous demandeurs d’asile. Asile, mon oeil. S'ils avaient, au moins, les bons neurones.
— Vaste débat ! Et Abdah dans tout cela ? Celui d’aujourd’hui, si je comprends bien, n’a rien à voir avec l’Abdah que j’ai connu. Votre premier amant basané. Ce chauffeur barbu qui m’avait passé une pompe à bicyclette.

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