16 déc. 2007

Chapitre XXVII

Le souffle familier d'Aurore sur la nuque d’Alexis. Aurore, un peu lasse. Il est tard. Elle le prend par la taille.
— Je vous retrouve enfin. J’ai failli me perdre. J’ai le cœur au bord des lèvres. Vous me raconterez le film de Gréta. Je n'ai aperçu que les chiens attelés. Le café d’Abdah m’a achevée. Sa mansarde croule sous les photos jaunies. Déchirées, recollées. Les coupures de presse encore plus sales et tristes. Les paquets mal ficelés. Des liasses dans du pipi de chat.
Au bout d’un quart d’heure, en effet, lassée du flou et de l’à-peu-près, Aurore n’avait plus aucune raison de s’attarder près du derviche qui s’assoupissait.
Sensible à l’ordre et à la rigueur, elle se débat mal dans les eaux troubles. Elle préfère les phares, les balises, les contre-feux. Et, la nuit par temps clair, le chant du zodiaque dans l'harmonie des sphères. A la Pythagore.


Après cet épisode dans les combles, le côté infirmière au combat de Gréta la réconforte. Et entre les bras d’Alexis, elle se félicite de voir comment cette femme affronte seule la faiblesse des hommes.
— Mais, regardez-la ! Je parie qu’elle nous prend pour des crétins. Elle a dû vous démontrer qu’elle était la fille de Guillaume Tell et de la Croix-Rouge.
« En tout cas, là-haut, dans cet hiver de la pensée, que d’histoires sordides. De haine, de bêtise. Comme en France. Pire qu’en France. Avant de descendre, j’ai ouvert quelques dossiers. J’ai été servie. J’avais déjà horreur du papier journal, des légendes sous les clichés gris. Moi qui n’aime que la vie pastel et l’amour arc-en-ciel.
« Abdah végète aux crochets de la politique d’immigration. Il flotte dans son système. Cerveau blet. Il ne jure que par la transmigration des âmes d’un corps à l’autre. Le meilleur passeport pour les invasions. Et l’éternité.

« Ils sont des millions comme lui, sur les pourtours de la Mare nostrum, à attendre l’aubaine démocratique. A la recherche d’un territoire, d’un petit boulot. La couleur de leur peau facilite les choses. Les danseurs d’Afrique ont moins de chance.
— Je sais, dit Alexis. Je sais.


Indifférente et lisse, Gréta des mollets ronds et des pommettes roses rembobine son film. Griffonne trois notes et clôt ses comptes.
Alexis prend la main d’Aurore.
— Autre chose ?
— Les Renseignements généraux nous filent depuis la frontière. Ils nous ont vu entrer dans le squat. Ils savent que vous êtes venu vous occuper de littérature et de progéniture. Vous l’avez assez répété. Mais ils se demandent pourquoi nous prenons racine.
Près des lacs, en effet, ce genre de capharnaüm n’abrite pas que des furieux en manque. Les mafias aux aguets s’y infiltrent en permanence. Et dans ce Sangatte des nuits fraîches, des monts enneigés, dans cette tête de pont de l’envahissement, tout mouvement insolite inquiète.
— A notre arrivée, dit-elle, votre excès d’extravagance, votre point d’interrogation à la boutonnière ont choqué. Avec votre manie de jouer les hurluberlus, vous avez agacé. Gare à celui qui voyage avec ce genre de subtilités dans ses bagages. Peut-être craignent-ils que vous ne racontiez notre voyage dans un bouquin.
— N’exagérez pas, dit Gréta. Ici, Alexis n’est pas considéré comme dangereux. Et à cette heure tardive, en chasse ou en promenade, il n’intéresse plus grand monde. Pour ma part, je le trouve plutôt naïf et nunuche. Sans vraie valeur marchande… Regardez sa tête lorsque je le mets en boîte. Moi aussi, je sais égratigner. Mais là, il apprécie moins.

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