9 déc. 2007

Chapitre XI

Le lendemain, Aurore et Alexis prennent leur petit déjeuner avec du champagne et des fleurs. Il est Dieu sait quelle heure.
— Maintenant, qu’allons-nous faire ?
— Un plan de bataille. Ensuite nous chercherons une librairie. Et nous verrons où m’habiller. Sortons.
Le lac, à peine deviné sous la brume. Eau sans barques et berges abandonnées. Sur le capot de la voiture, Aurore trace du bout des doigts un paysage de désolation.
Elle ajoute un personnage remontant le vent. Lui colle un entonnoir sur le crâne. Un livre sous le bras. Puis elle esquisse une maison dans laquelle le petit bonhomme se précipite.
— Vous faisiez semblant de chercher un décor pour votre passé. Je vous l’offre. Secouez-vous.
Alexis met ses mains en entonnoir sur la tête. Imite le fou qui marche à reculons. Il sourit. La mauvaise humeur n’existe pas chez lui. Il taquine avec tendresse et gravité. Parfois, aussi, cela trouble Aurore.
Mais il pense toujours au dîner de l’avant-veille.
— Un coup monté ! On ne loue pas une maison à deux pas de chez moi pour manger des huîtres.
— Et en quel honneur, dit Aurore, une femme n’aurait-elle pas le droit de réunir quelques-uns de ses anciens amants. De frimer un peu. De présenter son fils en situation. Un livre à la clé. Ce genre de scène traîne dans toutes les littératures. Imaginez-vous ce que j’aurais fait à sa place ?


Aurore grimpe sur le capot de la voiture.
— Je serais montée sur la table. Et, soulevant mes jupes comme une danseuse de cancan, j’aurais dit, je vous salue, mes petits baiseurs d'autrefois !
« Ah, je vois votre tête ! Et j’aurais continué. Je vous donne ce soir, chers vieux fiancés, à vous souvenir. A vous jalouser puisque je vous ai tous tenus entre mes bras au même moment.
« Voici que votre fils a vingt ans. Du talent à revendre. Son premier roman vient de paraître. Je voulais fêter cela.
« Ce soir, je vous interroge. Je vous demande de qui donc peut-il être l‘enfant oublié dont l’ombre plane sur vos assiettes ? Lorsque je sens encore en moi vos vigueurs, vos hâtes et vos passions. Moi qui ai appris sous vos ardeurs à savoir mieux vivre et à mieux faire l’amour. Voici un repas de retrouvailles, mais aussi la note.
— Très bien, dit Alexis redevenu miel. Allons acheter le bouquin de ce jeune homme. Vous le lirez. Nous en aurons le cœur net. Puisque vous ne démordez jamais.


Sortant de la librairie, Aurore lui demande s’il faut qu’elle commence la lecture en marchant.
A son avis, dans la rue on ne lit pas. On harangue. On hurle. On se met des cailloux dans la bouche, à la Démosthène. Pourtant, que ne transgresserait-elle pas pour Alexis.
Même assise au bord d’une tempête d’hiver, nue et seule sur des rochers, elle serait capable, par amour, de dire des poèmes à l’écume des vagues.
Elle ouvre le livre. Mais elle n’est pas certaine que Alexis soit dans les meilleures dispositions d’écoute. Elle se serre contre lui.
Redevenu vulnérable, il marche vite. Se retourne sur les femmes. Aurore a du mal à le suivre et à lire. Elle laisse son index entre deux pages.
— A la fin, dit-elle, que cherchez-vous ? Vous me demandez de vous aider et, sans même écouter, vous vous embarquez derrière le premier jupon. A moins que vous ne recherchiez encore, dans ce jeu de fuite, à vous dérober.
— J’attends seulement d’entendre la première phrase.
— Je viens de la lire ! Vous ne vous en êtes pas aperçu. Vous n’avez rien reconnu. Parce qu’il n’y a rien de vous là-dedans. N'espérez pas que je recommence.


Alexis grimace, mains en poche, longues enjambées. ll se persuade qu’un signe lui apparaîtra pourtant. Un peu de sexe. Un peu de mort. Il y en a dans tous les romans.
Aurore esquisse un minuscule signe de croix.
— Vous attendiez-vous à ce que je tombe sur un de vos mots d’esprit. Sur vos femmes nues en délire dans les salles de bain ? Pour vous entendre glousser.
« Eh bien, ce truc à trois francs suisses n’est qu’un roman pour la plage. Je le lirai en silence. Je saurai, toute seule, trouver ce qui vous appartient.
« Regardez, là-bas, ce corbillard. Il vous ressemble. Lui aussi cherche son chemin.
Alexis sourit au corbillard. Les cortèges funéraires ne lui déplaisent pas. Il pense souvent à la mort. Pour entretenir son angoisse. Du reste, il se considère comme un bon spécialiste des au-delà. Celui d’avant. Celui d’après, aussi.
Certes, l’extrême-onction l’ennuie. Et dans les églises il est sec comme une chaise. Mais il a de bons souvenirs de toucher de cadavre, sous un crucifix, pour un dernier baiser. De cercueils qui n’entrent pas facilement dans les caveaux de famille. La mort n’est encore qu’un scandale qui ne le concerne pas vraiment. Lorsqu’elle rôde, il ne se retourne pas mais il lui parle avec légèreté.
Elle lui sert également à faire le bel esprit. Et, quand d’autres évoquent des fontaines de lumières, des spirales d’amour, il soutient qu’elle est la fin paisible d’une longue fatigue.

Aucun commentaire: