15 déc. 2007

Chapitre XXV

Dans le bunker de Gréta, à dix mètres sous la banque alternative, aucune trace de mélèze. Les sièges, les bas flancs et la table ont été taillés au pic dans le massif de l’ère tertiaire.
— Sinistre ! dit Alexis. Rien d’autre ? Je ne reste qu’un instant. Je tombe de sommeil.
— Attendez ! dit Gréta. Je vais vous montrer un spot publicitaire. Rien à voir avec celui du syndicat d’initiative. Juste deux minutes. Moins long que celui sur le sida. J’allume l’écran. Regardez.
Un bouquetin bondit entre les rochers. Hors du bleu et du vert. Disparaît dans le blanc. Grelots d'alpages. Gros plans sur casques. Fusils en faisceaux. Des militaires entrent dans le champ, bicyclettes kaki à la main.
— Je les reconnais, dit Alexis. Ce sont eux qui ont envahi le Liechtenstein. Le mois dernier.
— N’exagérez rien, dit Gréta. C’était sans le vouloir. Il faisait nuit. Les conditions étaient exécrables. Ils ne voyaient pas le bout de leur nez.
— N’empêche. La frontière franchie, le régiment a failli se retrouver en Autriche. Du reste, ce n’est pas la première fois. Son colonel lave maintenant des verres au fond d’un café. Vos bicyclettes kaki sont sans doute trop rapides.
— Où avez-vous vu cela ?
— Jadis, Asmodée soulevait le toit des maisons pour regarder vivre les gens. Maintenant, c’est Internet qui regarde vivre le monde qui regarde Internet. Vous n’échappez pas à la règle. En tout cas, l’année dernière, votre artillerie avait déjà attaqué ce pauvre Liechtenstein. Encore à cause du mauvais temps. Par erreur, bien sûr. Mais les roquettes ont bel et bien explosé chez votre voisin. Mettant le feu à une forêt. Un site protégé. En plus ! Pas de mort d’homme, c’est vrai. Encore heureux.
— On a payé les dégâts.
— Dans ces conditions…


Sous les sommets enneigés, versant nord, un pan de montagne s’ouvre maintenant à deux battants. Des canons émergent en majesté. En contrebas, des flancs de collines s’écartent.
— Sans vouloir vous blesser, dit Alexis, on croirait voir un exhibitionniste de square qui entrouvre son imperméable.
Gréta hausse les épaules.
— Ici, nous ne creusons pas pour exciter les bonnes d’enfant dans les jardins publics. Ni pour lutter contre le froid. Comme au Canada. Nous creusons pour agrandir notre espace vital. Je vous l’ai déjà dit.
« Ah, si nous pouvions défroisser nos montagnes comme on défroisse une feuille de papier chiffonné ! Et mettre tout à plat. Notre territoire deviendrait un continent à lui seul. Peut-être le plus étendu de la planète. Et vous n’oseriez pas faire le malin. En attendant, nos galeries sont les yeux cachés de l’emmenthal.
— Cela ne veut rien dire.
— Non. Mais c’est une image. Ne sentez-vous pas l’odeur du lait qui caille ? Celle de la graisse d'armes. Du cuir.
— Non.
— Voici la suite, dit Gréta.


Sous la roche qui se craquelle, la terre enfle soudain et se boursoufle. Telle une brioche au four. Puis elle se dénude entre les sapins qui s’écartent. Par moment, elle semble respirer. Des gloires de soleil l’illuminent. Découvrent des rues souterraines. Des galeries marchandes. Des réseaux ferrés. Elles pénètrent ses entrailles. Jouent sur les entrepôts de nourritures. Le matériel militaire entassé. Les mitrailleuses, les canons. Les wagons de munition.
— Qu’allez-vous en faire ? dit Alexis. Déclarer la guerre ? Ou vous en débarrasser dans six mois. Vos lacs ne sont-ils pas déjà pleins de toutes les inutilités que vous y déversez depuis la guerre de 14.
« Des milliers de tonnes de munitions périmées. Sans parler de celles qu’une queue de carpe peut faire exploser à chaque instant. Des trains entiers d’armes rouillées. Des usines de masques à gaz troués. Des tréfileries de fil de fer barbelés. Des escadrilles d’avions cassés. Des armadas de bateaux éventrés. Des décharges de fûts d’huile.
— Naturellement, vous avez trouvé ces ragots sur Internet. Cela ne m’étonne pas. Diffuser de telles ignominies est passible de prison. En avez-vous conscience ? La nouvelle réglementation est en vigueur. En les colportant, vous êtes leur complice.
« En tout cas, vous n’arriverez pas à me saper le moral. Et nous saurons nous protéger de ces médisances. Du reste, avant hier, nous avons fêté les cinquante ans de notre législation sur la protection des eaux. Une cérémonie et une soirée très réussies.

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