6 déc. 2007

Chapitre VII


Le téléphone ne clignote plus. Aurore et Alexis écoutent maintenant chanter les kilomètres. Ils admirent cette matinée de printemps courir et se défaire dans les rétroviseurs.

Aurore, plus triste que blessée d’avoir été surprise, retrouve son tonus. Elle peut à nouveau taquiner Alexis qui, par moments, fait semblant de s’assoupir. Et donner le change.
— La route ! dit-elle. On ne dort pas au volant. Tenteriez-vous la mort ? Seriez-vous lâche, suicidaire ? Ne provoquez pas les camions !
« Regardez ! Ce chauffeur mal rasé. Je tends la main. Je pourrais prendre la sienne. Et celui-ci ! Il me dit bonjour. Il s’étonne que vous me fassiez tant de peine.
Aurore se penche. Agite le bras.
— Ces types roulent pour me séduire. L’air déplacé par leur quarante tonnes chahute les paysages et me grise. Sur les bâches, après la découverte des alphabets, quelques kilomètres de raisons sociales et trois dessins, des poèmes fleurissent. Des légendes. Des romans d’amour. Pour qui sait lire.
« Leur vacarme ne couvre pas les voix de l’intérieur. Des voix de jeunes gens. Je les entends. Dans les chambres isothermes, ils chantent. Ils grondent, ils prient. Pleurent et s’endorment. Ils rêvent. Je suis sensible au génie de l’esprit vagabond. A ces populations en marches éternelles autour de la planète. Je vibre à cet exotisme qui nous environne. Et m’aguiche.
« Laissez-moi cueillir une de ces orchidées. En simple touriste, pour la promener avant qu’elle ne trouve où s’enraciner. Ne vous effarouchez pas. Il suffit de sauter. Passer d’un véhicule à l’autre, en roulant, ce n’est pas difficile. Je l’ai vu faire cent fois au cinéma.
— Vous, quand le foutre vous prend.


Aurore contre la vitre. Le plus loin possible d’Alexis.
— Et l'autre donc ! dit-elle. Celle qui vous fait des enfants dans le dos. Vous chahute la matière grise. Vous suce la moelle et vous abandonne, vieux cocon, continuerait-elle d'avoir seule tous les droits. La vie durant ?
Alexis accélère pour se libérer des camions.
— Que fichons-nous ici ? En plus, hier soir, je n’ai rien pu avaler. Je redoute les huîtres et la cervelle d’agneau. Elle s’en souvenait, la garce.
« Chaque fois qu’elle parlait de son fils, elle me regardait en riant. Quand je chipotais avec ma fourchette, elle pouffait. Pendant trois heures, ses yeux m’ont rivé le crâne.
Nez à la fenêtre, cheveux au vent, Aurore n’écoute pas. Mais elle rit et réinvente la vie qui roule et tangue à ses côtés. Dans d’autres camions. Avec de nouveaux jeunes gens.
— Celui-ci ! Comme il me dévisage ! Vous avez seize ans, à peine ? Vos doigts de la nuit sont des rayons de lune. Vous venez vivre dans un monde que nous ne savons plus entretenir. Enfin, peut-être. L’avenir échappe si souvent.
Cela dure ainsi quelques kilomètres de monologues, d’étonnements. Un peu plus. Un peu moins. Puis diminue. Cesse. Alexis semble soulagé de la tournure des événements.
— Cela cloche, n’est-ce pas, petite fille ? Les tentations d’ailleurs ne durent pas trop longtemps chez vous. Heureusement.
— Je ne m'amuse déjà plus. C’est vrai. Je suis un marais qu’ils assèchent. L’illusion s’éloigne. Ne serait-ce qu’en imagination, vous tromper m’est inconcevable.
Alexis accélère encore.
— Laissons ! Je commence à si mal vous connaître. Mais ajoutez un seul mot et je vous abandonne à la nuit des glaciers. Au mal des montagnes. Vous dormirez mille ans sous la neige avec les fantômes que vous voudrez.

Aucun commentaire: