16 déc. 2007

Chapitre XXXIII

L'aube, en ce début de printemps. Aube de brume légère. D'eau plate, de branches basses.
Alexis, les yeux fermés, se laisse guider par Aurore.
— A quoi pensez-vous ?
— Au génie du lieu, évidemment. A Guillaume Tell et à son arbalète. Au Promeneur solitaire. Je respire les parfums qui ont dû les troubler.
— Moi, dit Aurore, je pense que nous n’avons dit au revoir à personne. J’appellerai Gréta.
— Eh ! sans rire, ne trouvez-vous pas que cela sent encore le hot dog ?
Lorsqu’ils se retournent, le toit de la maison semble par moments disparaître sous des tourbillons de fumée.
Aurore et Alexis hésitent. Reviennent sur leurs pas. Le long du lac. Vers l’embarcadère.
Un policier les arrête. Montre, entre deux cèdres, une limite à ne pas franchir. Leur demande de passer leur chemin. Parce qu’il n’y a rien à voir. Parce que ces incendies sont monnaie courante. Parce que les ambulances, la police et les pompiers travaillent. Que les Renseignements généraux relisent leurs fiches.


A l’hôtel, Aurore et Alexis restent à l’écoute des nouvelles.
Une partie de la charpente du squat a brûlé. Les murs et les grandes structures n’ont pas trop souffert.
Les médecins assurent que les drogués durs et les blessés ont été répartis dans les hôpitaux. Les moins touchés dans d’autres centres. Les sans-papiers ont disparu.
Des sociologues expliquent que les seringues perdues se retrouvent toujours. Comme les étoiles et les fourchettes des restaurants dans les guides touristiques. La boutique restera ouverte pendant les travaux.
— Je parie, dit Aurore, que Gréta tient tout cela à bout de bras. La banque, les coffres et le bunker ne risquent rien. Elle n’aura qu’un peu de souci avec les combles d’Abdah.


En fin d’après-midi, les visites étant toujours interdites, Aurore et Alexis décident de rentrer chez eux.
Au garage, elle lui serre le bras.
— Au moment de l’explosion des Goncourt et de la fille en latex, j’ai cru voir arriver notre dernière heure. Cette idée de mourir dans vos bras ne me déplaisait pas. Je trouvais seulement que c’était un peu tôt.
« Quelle dinguerie trotte donc dans la tête de cette femme pour fabriquer de telles extravagances ? Mais rassurez-vous ! votre paternité ne s’ancre pas chez ces gens que nous venons de rencontrer. Comme votre ancienne maîtresse, vous vous serez embrouillé dans les sentiments. Trompé dans les dates. A l’époque, vous ne saviez ni aimer ni compter.
« Je plains les autres amants de cette mère machin. Surtout les petits. Elle ne va pas tarder à les solliciter. Ses fils finiront par trouver un papa qui leur ressemble. Mais vous n’avez pas volé la leçon.


Le téléphone clignote, Aurore met un doigt sur le voyant.
— On ne répond pas, la route est si belle. A cette allure nous serons bientôt de retour. Laissez votre main sur mon genou. Vous roulez aussi vite qu’autrefois. Et je n’ai pas peur. J’aime votre façon de conduire à tombeaux ouverts. Tiens ! encore une expression qui disparaît avec les limitations de vitesse. Voilà comment on tue une langue.
« Et puis qu’importe, à la fin, que l’on ait cherché à vous détrousser à la corne du bois des lettres. Au-delà de cette aventure, vos trois phrases et vos quatre idées égarées vous appartiendront toujours. Dieu soit loué. Elles portent votre marque.
« Je l’ai compris avant d’arriver à la douane. A l’hôtel, en vous écoutant raconter le Parc Monceau. Et, le lendemain, lorsque je lisais dans la baignoire ce qu’un imprudent avait voulu en faire. En tout cas, votre histoire de paternité biscornue ne vous tracassera plus. Vous avez de nouveau la tête sur les épaules.
« Nous aurons aussi constaté que cette minuscule terre bosselée n’était pas plus que d’autres préservée des aléas de l’évolution. Mais qu’elle prenne garde ! L’Europe se lèche déjà les babines.
« Oh ! regardez. Le génie du lieu plane au-dessus de la voiture. Il nous caresse de ses ailes de soie dans la lumière cendrée de la lune. Il salue notre départ. Tout grand, tout seul maintenant face aux européens. Vingt-sept pays, pour le moment… Il va avoir du travail.
« Adieu, Grisons ! Adieu, coucous ! L’équinoxe est passé. L’année bascule. Voici la douane. Nous irons une autre fois voir le réchauffement de la planète.

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