16 déc. 2007

Chapitre XXX

Aurore sourit. Hausse les épaules. Certes, elle ne connaît pas la fin de toutes les histoires de la planète. Ni de celle qu’elle vit en ce moment. Mais elle sait que les dénouements tiennent sur les doigts de la main. Et que les épilogues, quoi qu’il se passe, ne valent jamais les prologues.
— L’imagination manque d’envergure, dit-elle. Au Moyen-Orient comme ailleurs. Encore plus dans les Mille et une Nuits. Des histoires de cocus ! Ne se laissent surprendre que les bourriques, les incultes.
Evidemment, Gréta jubile dès que l'on évoque Shéhérazade et son petit monde. Ici ou en Mésopotamie. Le pouce frotté sur l'index elle refait le signe international de l'argent compté.
— N'oubliez pas la leçon d'Abdah, dit-elle. La découverte de notre temps, le sou du pauvre.
En réalité, Aurore se fiche bien de savoir si Abdah et Gréta lui ont appris quelque chose de nouveau sur l’argent, l’immigration. La came. Ou ont voulu se moquer d’elle en lui révélant des évidences.
Son problème reste Alexis. Elle lui prend la main.
— Je commence à être lasse de naviguer dans cette espèce de conte oriental dont ce pays lui-même n’a pas le style.
« Ses Aladin ne valent pas un clou. Il n’a pas de lampe magique à frotter. Et il ne pend pas les porteurs de mauvaises nouvelles aux portes de ses villes.
« Quant à vous… Vous n’éliminez même pas vos maîtresses à l'aube, comme Haround al-Rachid, le calife de Bagdad, savait si bien le faire. La preuve, celle dont on parle vit toujours. Je la sens rôder. Nous épier.
— Mes préoccupations ne nourrissent donc plus votre enthousiasme.
— Quel ennui, déjà, avec ces trouducs. Alors, si vous me forcez encore à y mêler vos frasques, vos manuscrits sous les draps, vos essais de pompe à bicyclette, je ne trouve pas de quoi me réjouir. Je n’arrive pas à me désembuer.
« Vous ne semblez pas, non plus, vous rendre compte que nous sommes en danger. Parviendrons-nous seulement à quitter cette poubelle. Rien n’est moins sûr.


Et bien qu’elle ne pense qu’à partir, Aurore n’arrive pas encore à se voir retraversant le Rhône. Trottinant trois pas derrière Alexis devenu le père étonné d'un fils aux doigts pleins de son encre. Un toquart à la barbe bientôt grisonnante. Avec une grosse belle-fille qui s’appelle Rose, mange des choux et couche à tout va.
Elle sait aussi que, savourant leurs joies simples et préservant leur quotidien, Gréta restera collée à son lait trafiqué. L’Abdah de service à ses extases. Et les infra à leur nuit de potage.
Dans sa crispation, elle aurait aussi tendance à se réjouir que la baraque soit engloutie par la récession qui ébranle des siècles d'histoire. Davantage encore, si elle imagine le quartier croulant sous un trop-plein de drogués. Le mal galopant.
— En attendant, dit Alexis, au cadastre, ils ont dû rire un sacré coup, en mettant le tampon Valable pour un squat. Il y a de la subtilité dans le chocolat au lait.


Un instant déstabilisée, Aurore tente pourtant de reprendre pied. Elle ferme les yeux. Deux doigts au poignet, elle compte les battements de son cœur. Contrôle sa respiration. Et, petit à petit, retrouve quelques bribes de compassion pour ces jeunes gens qui se noient dans les fosses ouvertes à chaque carrefour.
Instants suspendus. Instants de rêve et de miséricorde. Car, comme toujours, elle se représente Alexis à leur âge.
— En effet, dit-il, si vos épaves ont en commun, avec les nains de cette famille, la platitude et la vulgarité de la pensée, la douleur physique de l’état de manque les rachète un peu. Ils sont sans doute moins à plaindre que les escrocs en herbe, sans talent et sans scrupules, qui volent les idées des autres.
— Je veux bien le croire, dit Aurore. Admettez pourtant que, même à court d’imagination, un enfant mal foutu ait le droit de s'amuser avec sa maman et quelques-unes de vos pages perdues. Ne serait-ce que pour vous faire enrager. Que l’un de ces garçons soit, ou non, votre fils.
— En tout cas, j'aimerais voir sa bobine, dit Alexis. Au fait, comment le dessineriez-vous ?

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