9 déc. 2007

Chapitre X


Une jeune femme oxygénée, décrépue à la pomme de terre, sort de sa guérite. Elle marmonne et regarde les mains d’Alexis posées sur le volant.
— L'ongle de son petit doigt est grand comme mon pouce.
— Attention ! dit-il. Je lis sur vos lèvres. Vous auriez dû dire, grand comme celui de mon pouce.
La fille hausse les épaules. Ce ne sont ni ses ongles ni son français qui l’intéressent. Ce sont les enfants. Ceux qui vivent déjà nichés, en périphérie, avec leurs tantes et leurs grands-mères.
Les autres à venir. A déposer ici, sous elle. Pour les ancrer un jour au droit du sol. Des sangs mêlés, des gris, des jaunes. Et l'argent qui va avec.
C’est pour eux qu’elle a appris à mettre en valeur sa vulve déchirée et dix fois recousue. Oiselle, figue fleur blessée qui tient à peine, tant elle est mutilée, dans la glace de son sac à main. Comme sa mère et ses sœurs, elle aussi excisera ses filles car elle pense à leur avenir.
Elle sort une photo de son soutien-gorge et se la colle au bout du nez.
— Les cicatrices bouleversent chaque fois mes amants. La surprise passée, ils éjaculent un peu vite. Je m’y fais. Va pour la bagatelle. Mais pour la vraie baise je préfère les mecs de chez nous.
Elle jette un oeil sur Aurore.
— Hors communauté, ni chèque ni carte. Des espèces. A bientôt, beau blanc. Si le chef me saute pendant la pause, je penserai à toi. Passez avec les autres ! Les voitures à droite.


Alexis démarre.
— Aurore, dit-il, je me fous des excisées. J’aimerais seulement en savoir un peu plus sur l’instinct paternel.
A l’époque, il s’en souvient, les femmes en gésine lui mettaient déjà le coeur au bord des lèvres. N’étant pas de ceux qui se précipitent aux accouchements, prennent en vidéo les douleurs, les sexes distendus, les eaux courantes.
— Et se font jouir en regardant. Des pères, je suppose. Si certains apprécient, d’autres s'évanouissent. Je suis de ceux-là.
« Me voyez-vous, adolescent, déguisé en pater familias. Egaré près de cette génitrice, avec des rêves de berceau, de couches-culottes. Tâchant de griffonner trois phrases sur un bord de lit ? Moi qui effeuille mes roses pour ne pas les voir se faner. Pour les mêler vivantes au jasmin, aux cistes, aux lauriers.
« Tenez, un après-midi, je rentre. Amoureux. Je file au salon. Je trébuche sur du pilou froissé, du gigot tiède, des trognons de pomme. Elle vomit, souffre et gémit. Je venais aimer une muse diaphane et musicienne. Une bergère légère. Chanter avec elle entre les bougeoirs d'argent. Danser sur les nappes en dentelle.
« Je ne vois que des transpirations, des flatulences. Alors qu’il y a tant de volupté, de fraîcheur, de fruits verts sur le marbre des villas romaines. Tant de lumières à Paris, à Londres. Avec ces filles plates, ces jambes, ces parfums. Ces incomparables qui font les rues, les boutiques illuminées, l’heure de l’extase.
— Ah, là-là, dit Aurore, pitié ! Toutes ne jouent pas cette comédie. A mon tour, demain, j'arrête la pilule.
— Il n’empêche que le petit voleur parade aujourd’hui dans mon costume trop grand pour lui. Encore heureux qu’il ne se soit pas trémoussé, l’autre soir, à cette fête usurpée de la littérature. Acclamé par ces charognards. Je ne l’aurais pas supporté. Je l’aurais tué une seconde fois. Aurore, ne me faites pas d'enfants. Si ce désir vous prend jamais, louons des mères porteuses. Une fois sevrés, hop ! au pensionnat.


Aurore, qui n’aime pas que l’esprit d’Alexis s’égare trop longtemps, vient se blottir contre lui.
— Je n’ai presque plus mal. Si proche de vous, était-ce vrai ce froid, ces questions ? Je suis creusée, vidée, convalescente. Epuisée comme jamais. Mais notre promenade est si belle.
« Mon oreille ouvre votre bouche. Parlez-moi encore. Vos frissons et vos colères ensemencent l’immense palais de ma mémoire. Saint Augustin, hélas ! a employé cette image avant moi. Hélas ! Tant mieux !
« Voici que nous arrivons. Il va être midi. J’aperçois le lac. A contre-jour, un lever de brume. Et une voile captive. Chiche que vous alliez faire un tour avec !
— Ce n’est pas la brume ! dit Alexis. Ce sont des moustiques dans des nuages de citronnelle. Des danseurs et des musiciens dans la fumée des braseros. Ils n’ont pas l’air contents de nous voir. Je vais quand même aller leur chatouiller les doigts de pied. Attendez-moi dans cette auberge. Demandez le droit d’asile. A votre tour. Pour une fois.

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