15 déc. 2007

Chapitre XXII

Alexis se laisse embrasser.
— Moi, dit Gréta, je suis d’une autre race. Celle des castors et des excavatrices. Dans nos montagnes, j’aide à construire un monde souterrain. Pas un quartier ni une ville. Mais un territoire qui doublera un jour notre espace vital. Certains peuples mordent sur la mer. Nous, nous mordons en pleine montagne.
« Sous les caves de cette maison j’ai creusé un abri atomique. Ne riez pas, c’est obligatoire. Mais entre cette pétaudière et le blockhaus, j’ai aussi aménagé une banque pour compter, en sécurité, l’argent que j’amasse.
« Le malheur m’a frappée, comme n’importe qui. Et, avec les parasites qui nous cernent, il m’arrive encore d’être chocolate. Mais je lutte contre la panique obsidionale. Un jour viendra où le reflux des populations s’amorcera. Je monnaie déjà ma convalescence. Renaissance en marche. En tout cas, je me plais à le croire. Et si, en ce début de millénaire, je courbe l’échine, et dois parfois retravailler mes cartes routières, je prends cela comme une épreuve passagère. Je ne suis pas une Hollande des hauteurs. Je n’ai pas besoin, chaque année, de perdre mon temps à renforcer mes digues. Avantage aux rochers.


Percheronne au petit trot ou génisse industrieuse, Gréta n'a sûrement pas tort de vanter sa nouvelle réussite. Sa vie alpine, lente à se dérouler, va sans trop d’à-coups. Tel un tracteur, son diesel ne cale pas. Les roues tournent. Les gens circulent.
Alexis la découvre, ancienne comme ses glaciers. Avec sa carcasse en alpages, ses cheveux de lin. Eternelle et coloriée. Telle une affiche des wagons-lits de l’Arlberg. Avec sa tête blonde centrée sur les couvercles des boites à fromage, Gréta des laiteries fonctionnelles et des sources fraîches connaît mieux que personne l’art de séduire. Ayant le sens de l’harmonie, elle a vite su comment changer de cap et s’initier au secret des nouveaux comptes numérotés. Adieu gruyère !
A telle enseigne, qu’un beau matin, lorsque des loubards à turbans et à babouches vinrent lui faire renifler un peu de poudre, un peu de cette blanche trop pareille à l'aubaine qui tombe du ciel, elle était prête.
— J’aime partager mes bonheurs, dit-elle. Voilà pourquoi je viens vous faire le câlin pendant votre orage. Me livrer un peu. Ouvrir vos oreilles et vous coudre la bouche. Parole pour parole. J’ai confiance. Mais la baise avec vous, niet.
— Vous plaisantez ?
— Suivant les arrivages, ou dès que la votation est dans l’air, je me lève à l’aube. Je m’installe entre deux rangées de coffres-forts. Des secondes mains, cela fait plus démuni. J’appelle cela passer l’aspirateur. On ne sait jamais. J’ai pris goût. L’argent que je récolte n'est plus une spécialité de riches mais une chasse gardée de pauvres. Un privilège d’ultra-misérables. De continents à la dérive. Entre lacs et montagne, l'argent des calamiteux, il faudra vous y faire, pèse plus lourd que celui des nantis. Et il sent si bon ! C’est grâce à lui, du reste, qu’on ne peut pas me foutre à la porte.
— Ah ! belle Gréta, vous me rassurez. Tant de bruits circulent. Si vous viviez en France, je vous ferais Marianne dans les mairies. Et je vous peloterais les nichons à la sauvette.

Aucun commentaire: